Roustang, Erickson et Haim Livai entrent dans un bar… et l’inconscient paie la tournée

Ce que les visions opposées de l'hypnose m'ont appris sur le lien, le rythme et la transformation.
À propos d'hypnose (et de ceux qui confondent tout, sans le vouloir)
Non, ils ne sont pas vraiment entrés dans un bar.
Mais si c'était le cas, j'aurais adoré observer la scène.
Un philosophe silencieux qui infuse le vide (Roustang), un clinicien métaphorique en fauteuil (Erickson), un performeur urbain qui hypnotise en plein centre-ville (Haim Livai)… et quelque part, moi, avec mon carnet de notes, en train de me dire : "Et si tout ça avait sa place ?"
Parce que depuis quelques temps, mes patients me parlent souvent de ce qu'ils voient circuler sur les réseaux sociaux :
les vidéos où quelqu'un chute à la simple injonction "dors", les performances de rue, les hypnoses express.
Ils sont fascinés, curieux… mais aussi inquiets.
On me demande :
— "Est-ce que vous faites ça aussi ?"
— "Est-ce que je vais perdre le contrôle ?"
— "Et si je ne me réveille pas ?"
Ces questions, je les entends de plus en plus.
Et derrière elles, il y a une vraie confusion sur ce qu'est l'hypnose, sur les différentes approches, sur leurs objectifs.
Mais surtout, il y a une peur : celle de se laisser faire.
Celle d'être manipulé.
Celle d'être "endormi" par quelqu'un d'autre que soi.
Alors j'ai eu envie d'écrire.
Pas pour opposer les courants, mais pour faire la lumière.
Pour expliquer, nuancer, et peut-être, réconcilier.
Car au fond, entre l'hypnose thérapeutique, l'hypnose de spectacle, les inductions rapides et les silences habités…
il y a une même matière première : l'inconscient.
Et ce qu'on en fait dépend moins de la méthode que de l'intention.
L'hypnose de rue : ce qu'elle montre (et déclenche)
Haim Livai hypnotise dans la rue, en quelques secondes.
Si vous ne le connaissez pas encore, je vous invite à découvrir son travail : c'est bluffant, déroutant, parfois spectaculaire, mais toujours révélateur d'une véritable maîtrise de l'art de capter l'inconscient.
Ce qu'il fait, c'est rappeler à chacun que l'inconscient est là, tout le temps, prêt à se manifester — si on sait s'adresser à lui.
Et il le fait à sa manière : intense, directe, sans détour. Son approche repose sur l'impact immédiat, la captation de l'attention, et l'enchaînement d'étapes rapides mais précises : rupture de pattern, saturation sensorielle, suggestion directe. C'est un art du moment, une hypnose de l'instant, qui déclenche souvent une bascule spectaculaire… mais qui, comme un feu de paille, demande un travail complémentaire si l'on veut enraciner une transformation durable.
L'induction rapide selon Elman : la précision avant tout
Dans ce même bar imaginaire, Dave Elman commanderait un double expresso (induction rapide oblige), et affirmerait que tout est une question de technique bien rodée.
L'induction Elmanienne ?
Concentration, respiration, blocage des paupières, approfondissement.
Une mécanique efficace, utilisée dans le monde médical depuis les années 50.
C'est net, rapide, et ça fonctionne.
Mais Elman n'est pas qu'un technicien : il comprend aussi l'importance de la voix, du rythme, et surtout de la confiance. Sa méthode est souvent enseignée comme un protocole, mais à l'origine, c'est un art de la précision thérapeutique. Pour lui, le changement naît d'un accès rapide à l'inconscient, certes, mais il se consolide par l'intelligence de la suggestion et la clarté de l'intention posée.
Erickson : l'art de parler à côté pour toucher juste
Chez Milton Erickson, on parle à l'inconscient comme on parlerait à un ami distant mais attentif.
Avec douceur, images, métaphores, anecdotes personnelles.
Ce n'est pas ce qui est dit qui compte, mais ce que l'autre entend et réorganise intérieurement.
Erickson ne donnait jamais deux fois la même séance : il s'adaptait entièrement à son interlocuteur, utilisant le langage de l'autre, son histoire, ses symboles. Il savait que le changement ne s'ordonne pas, il se permet. Il laissait le patient trouver sa voie, en posant des suggestions ouvertes, des contes, des silences. Là où Elman cherche l'efficacité, Erickson cherche la coopération, en ouvrant le champ des possibles plutôt qu'en traçant un itinéraire.
Roustang : et si ne rien faire était déjà beaucoup ?
François Roustang, lui, ne chercherait pas à induire un état. Il écouterait d'abord, avec l'attention fine d'un analyste, pour percevoir ce qui, dans le discours de la personne, trahit une faille, une ouverture, une tension.
Son approche consistait à trouver un point d'appui, souvent minime mais essentiel, pour initier un basculement : pas un changement dirigé, mais une libération d'espace. Une désappropriation du contrôle, une façon de créer une brèche dans le flux du mental rationnel.
Ce n'est qu'ensuite qu'il glissait, presque sans prévenir, une suggestion ou une consigne subtile. Pas pour diriger, mais pour désencombrer. Pour ouvrir un vide opérant, ce fameux espace où le changement ne s'impose pas, mais surgit.
Il ne s'agissait pas de remplir, mais d'enlever. D'apaiser la densité intérieure pour que quelque chose puisse émerger naturellement. Pour lui, l'hypnose est un état, pas une technique. Un débrayage, une suspension, une bascule.
Et cette bascule, il la déclenchait en se retirant juste assez, pour que l'autre se rencontre lui-même.
Une pratique vivante, une écoute sur-mesure
Aujourd'hui, le rôle d'un hypnothérapeute n'est plus de suivre un protocole figé ou de choisir un camp. C'est d'écouter. D'observer. D'adapter.
Ce que j'ai compris avec le temps, c'est que chaque approche — de la plus directe à la plus intuitive — peut être pertinente si elle est bien dosée. Haim Livai nous montre l'effet d'un électrochoc bienveillant. Elman, la précision d'un accès encadré. Erickson, la puissance de l'image intérieure. Roustang, la force du retrait.
Parfois, une technique suffit. Parfois, aucune ne fonctionne. C'est pourquoi l'humain doit rester au centre du processus. L'essentiel ne réside pas dans l'outil, mais dans la disposition intérieure. Le thérapeute n'est qu'un facilitateur : la véritable libération vient de la personne elle-même, quand quelque chose en elle est prêt.
En cabinet, ce qui compte avant tout, c'est la personne en face. Sa trajectoire. Son histoire. Son rythme. L'hypnose de rue, aussi impressionnante soit-elle, serait en thérapie souvent trop brutale. Une induction physique façon Elman peut être puissante mais nécessite du lien. Une métaphore ericksonienne ouvre parfois l'imaginaire, mais encore faut-il que l'autre ait l'espace d'y entrer.
En cabinet, ce qui compte avant tout, c'est la personne en face. Sa trajectoire. Son histoire. Son rythme. L'hypnose de rue, aussi impressionnante soit-elle, serait en thérapie souvent trop brutale. Une induction physique façon Elman peut être puissante mais nécessite du lien. Une métaphore ericksonienne ouvre parfois l'imaginaire, mais encore faut-il que l'autre ait l'espace d'y entrer.
C'est pourquoi, en séance, je ne suis ni technicienne, ni magicienne. Je suis plutôt un genre de mixologue de l'inconscient, une sorte de cheffe d'orchestre discrète. Mon rôle : trouver le bon dosage, l'élixir subtil entre technique, ressenti, écoute et présence.
En guise de dernier verre
L'inconscient ne se laisse pas enfermer dans une méthode.
Il est fluide, imprévisible, surprenant.
Et c'est peut-être ça le plus beau :
qu'entre une induction choc dans la rue, une métaphore murmurée en cabinet, ou un silence habité dans une salle d'attente…
l'inconscient, lui, paie toujours la tournée.